Réforme des retraites : «Il est temps de tout reprendre, d’ouvrir une vraie négociation»
Par Rachid Laïreche — 22 décembre 2019 à 19:41
- Olivier Faure (au centre), lors de la manifestation du 5 décembre, à Paris. (Photo Marc Chaumeil)
Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, s’oppose au projet, qui soigne les super-riches et rend vulnérable les pensions à la conjoncture économique. Pour lui, il est inacceptable que les simulateurs permettant de comparer les deux systèmes ne soient disponibles qu’après la présentation de la loi.
Terminé, le temps de l’opposition à pas de loup. Le PS ne se cache plus pour afficher ses différends avec le gouvernement. Le projet de réforme des retraites le prouve une nouvelle fois. Les socialistes défilent dans la rue au milieu des autres familles de gauche. Quelques jours avant Noël, alors que la situation est toujours bloquée, le premier secrétaire du parti, Olivier Faure, appelle le gouvernement à retirer son texte et à «tout reprendre» à partir de données fiables.
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Quel est votre regard sur les négociations entre le gouvernement et les syndicats ?
Désabusé. Le gouvernement a passé deux années à faire semblant. Il mime le dialogue social. Le résultat, c’est l’unanimité des syndicats contre sa réforme et le soutien du seul Medef. Aujourd’hui, le gouvernement semble plus préoccupé par l’idée de diviser le front syndical qu’à répondre aux vraies divergences qui s’expriment. Reculer uniformément l’âge de départ, c’est condamner une majorité de nos seniors à vivre du chômage ou de revenus de solidarité en attendant de pouvoir liquider leurs droits sans décote.
Vous êtes pour une trêve durant les fêtes de fin d’année ?
Je suis pour que le gouvernement crée les conditions d’une trêve. Les fêtes de fin d’année, c’est l’occasion pour les familles de se retrouver. Il n’est pas très responsable de continuer à tendre le climat social pour un projet dont le gouvernement ne sait même pas anticiper les conséquences. Rendez-vous compte : il nous est dit que nous aurons un simulateur permettant de comparer les pensions actuelles et futures six mois après le vote de la loi ! On signe un chèque en blanc et six mois plus tard, on sait de combien on est débités. Qui peut accepter de telles conditions ? La seule chose que le gouvernement simule bien jusqu’à présent, c’est sa compétence.
Quelles sont vos réelles divergences avec le gouvernement sur la réforme ?
D’abord l’âge pivot, devenu «âge d’équilibre». L’équilibre financier, cela va de soi… C’est une vision punitive : travailler plus longtemps pour éventuellement gagner autant. Ensuite, sur le financement, le gouvernement prétexte l’urgence, mais il faut lire le Conseil d’orientation des retraites : c’est le gouvernement qui creuse le trou, et ensuite il nous demande de le reboucher ! De même, le jeu de passe-passe qui consiste à améliorer une situation pour en dégrader une autre. Par exemple, la bonification dès le premier enfant, c’est bien mais le gouvernement supprime la validation de deux années de retraite par enfant. Les pensions des veuves seront versées à partir de 62 ans, contre 55 aujourd’hui…
Il faut également dénoncer l’absence de volonté sur les carrières longues ou la reconnaissance de toutes les pénibilités, et pas uniquement celles jugées acceptables par le patronat. Les caissières, les ouvriers du bâtiment, de la logistique ou des travaux publics, ceux qui sont exposés aux matières dangereuses, ont été sacrifiés par la loi Pénicaud. La transition du régime actuel vers un système à points n’est pas davantage assurée. De très nombreuses catégories de salariés, au premier rang desquelles les enseignants ou les fonctionnaires territoriaux, vont perdre une part substantielle de leur retraite. C’est inacceptable.
On jette tout dans la réforme ?
La hausse des minima contributifs, je prends, même si elle est modeste puisqu’on parle des seules carrières complètes et qu’il n’est nul besoin de changer de système pour y parvenir. Mais au regard de cette évolution, pour d’autres, ce sera la double peine : la modification des règles de l’assurance chômage va diminuer les allocations de 1,3 million de chômeurs et donc les points cotisés. Les carrières heurtées, notamment celles des jeunes, vont être pénalisées. Comment accepter enfin l’absence de participation au système pour les salaires au-delà de 10 000 euros qui se réfugieront dans la capitalisation comme les y incite fiscalement la loi Pacte ? Cette sécession des plus riches coûtera plusieurs milliards au budget de l’Etat. Après l’ISF et la flat tax, les fortunés peuvent se frotter les mains. Derrière l’habillage de l’universalité, le gouvernement soigne la singularité des super-riches. Les sujets de désaccord sont innombrables, comme les inconnues.
Mais vous restez favorable à la retraite à points ?
Nous ne nous sommes jamais prononcés pour la retraite à points. Je suis favorable à l’évolution de notre système vers plus de justice. Je n’en fétichise aucun. Il ne faut pas confondre les objectifs et les moyens. Le système par points ne mérite ni excès d’honneurs ni indignité. Il est une réponse technique. Mais cet outil peut être redoutable : l’unité des règles et du régime le rend potentiellement plus vulnérable à la régulation financière et à l’approche budgétaire. C’est un fait. En Suède, où il a été mis en place, il y a deux fois plus de retraités pauvres qu’en France. Comment faire confiance à ce gouvernement pour garantir dans la durée le niveau des pensions alors que son premier geste a été d’augmenter la CSG des retraités et de désindexer leurs pensions ?
Le PS souhaite-t-il le retrait de la réforme ou une (re) négociation du projet du gouvernement ?
Le retrait. On n’improvise pas un basculement pareil sans garanties. Il est temps de tout reprendre. D’ouvrir une vraie négociation dans laquelle seraient comparées les solutions permettant d’ouvrir de nouveaux droits sans régressions. Le remboursement intégral de la dette sociale en 2024 ouvre des perspectives. A compter de cette date les fonds de la Cades [Caisse d’amortissement de la dette sociale, ndlr] pourront être employés à d’autres tâches : amélioration de nos retraites, renforcement de l’hôpital et des Ehpad.
Aujourd’hui, des désaccords existent entre le PS, qui appelle au retrait de la réforme, et la CFDT, qui cherche à en négocier certains aspects. Peut-on parler de tensions ?
J’ai le plus profond respect pour la centrale de Laurent Berger. Je sais que l’objectif de la CFDT est sincèrement de parvenir à un système qui réduise les inégalités. Mais les conditions ne sont pas réunies car le gouvernement poursuit un autre but. Purement comptable.
Ces derniers temps, vous discutez beaucoup avec les autres familles de gauche, notamment. Quel est l’objectif ?
Lors des primaires de la droite, Edouard Philippe soutenait Alain Juppé, Gérald Darmanin dirigeait la campagne de Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire votait déjà pour lui. Emmanuel Macron a réussi à rassembler les droites. Aux gauches et aux écologistes de se rassembler à leur tour et de montrer qu’il existe un autre chemin.