Privatisation de la Poste

Nicolas Sarkozy a annoncé la création le 17 septembre d'une commission, composée majoritairement d'élus et de responsables syndicaux pour discuter de la privatisation de la Poste française. Cette commission rendra un rapport le 30 novembre. Quant on veut enterrer un problème, on crée une commission disait Clémenceau ; de quel débat s'agit il exactement ?

La Poste en chiffres :

Selon les Echos, le scénario le plus probable serait une introduction de 20 pour cent du capital en bourse pour un capital total estimé à 10 milliards d'euros.
La Poste, entreprise publique, est en charge du service du courrier classique ; étant l'opérateur historique et disposant d'un réseau important, c'est également un acteur important des marchés du courrier prioritaire et de colis. Répartie à travers 12 000 bureaux de poste, elle emploie 300 000 salariés dont 54% ont un statut de fonctionnaire.
C'est également une banque importante, utilisée par de nombreux petits épargnants.

Elle reste une entreprise bénéficiaire, au bénéfice net de 943 millions d'euros en 2007, en hausse de 16% par rapport à 2006. 15% de ses bénéfices vont à l'État, le reste étant réinvesti.

Une modification de statut parachevant une lente libéralisation :
Début septembre, la compagnie a annoncé qu'elle « envisageait les possibilités d'un changement de statut », soit l'adoption du statut de société anonyme, statut normal des entreprises privées et nécessaires pour que l'État puisse en vendre des parts.

Cette modification en profondeur de l'entreprise est présentée comme une préparation à la libéralisation complète du marché postal dans l'UE, à l'horizon 2011. Une autre raison invoquée est la séparation des activités bancaires et postales afin de se conformer aux règlements sur les positions dominantes. La nouvelle « banque Postale » sera ainsi une fiction juridique à laquelle la Poste va louer ses bureaux et les services de son personnel.

La banque postale détiendra 40 milliards d'euros d' épargne placés sur différents comptes prévus spécifiquement pour les petits épargnants. Le nouveau statut éliminera en grande partie les garanties étatiques en cas de faillite, créant un risque pour les petits épargnants, mais augmentera également le prix de l'argent que la Banque Postale empruntera aux institutions financières ; la Banque se concentrera donc principalement sur les clients les plus rentables.

Depuis des années déjà, La Poste utilise la tendance générale à la libéralisation pour accroître ses profits. 40 pour cent de ses effectifs sont embauchés sur des contrats de droit privé qui peuvent être rompus plus facilement que les contrats publics. L'utilisation du travail temporaire pendant les périodes de vacances a augmenté et les employés doivent maintenant atteindre des objectifs de ventes, non seulement dans l'activité bancaire, mais aussi pour les enveloppes et les timbres.

Non-exemples européens et conséquences françaises :
Ce qui attend les Français peut s'observer dans les pays qui sont déjà allés plus loin dans le processus de libéralisation. La Deutsche Post a transféré 25 000 emplois à des sous-traitants qui paient de faibles salaires, et 30 000 à 40 000 autres emplois sont passés de temps plein à temps partiel. Lorsque les travailleurs de la Royal Mail britannique ont accepté un « accord sur l'efficacité » en 2003, ce fut le feu vert donné à l'élimination de 33 000 emplois à plein temps et de 25 000 à temps partiel. Le niveau général des services s'est détérioré et ces entreprises s'intéressent surtout aux marchés pour les professionnels comme l'envoi en masse de publicités, plus rentables.

En dépit des garanties accordées par l'UE en 1996, selon lesquelles un certain nombre d'obligations peuvent être imposées par l'Etat pour garantir un « service public de qualité », les consommateurs ont été confrontés à des périodes d'ouverture plus courtes des bureaux de poste, et à de nombreuses fermetures en zones rurales. Avec la séparation des activités bancaires et postales, il y a un risque que les bureaux de certaines petites villes et villages soient fermés simplement parce que la Banque Postale refuserait de les louer, laissant le service postal à l'abandon. Jusqu'à maintenant, 5000 fermetures ont pu être évitées en faisant financer les bureaux de poste par les communes ou en les faisant sous-traiter par des commerçants. En raison de ses missions de service public réaffirmées par une loi de 2005, comme l'obligation d'ouvrir un compte à qui le demande, soit l'accessibilité bancaire, et la présence postale avec un minimum de guichets sur un périmètre donné, le changement de statut du personnel et la fermeture de bureaux de poste semblent impossible. Ce que l'on peut craindre en revanche, est le remplacement de la moitié des 12 000 bureaux par des « points de contact » dans les mairies ou chez les commerçants, ou encore le recalcul des prix des envois selon la distance parcourue et l'alignement de la distribution du courrier sur les voisins européens (5 jours sur 7, au lieu de 6).

Vers la fin d'un service public de proximité :
Les nouvelles avancées vers la privatisation ne vont faire qu'aggraver la libéralisation. Les objectifs en ont été clairement exprimés dans un rapport du Sénat établi en 2003. Agressivement intitulé « La Poste : le temps de la dernière chance », ce rapport s'inspirait des exemples étrangers, mentionnant qu'au Royaume-Uni, 97 pour cent des bureaux de poste était sous franchise, « pour les petits établissements comme pour les gros », et qualifiant la fermeture d'un quart des bureaux allemands « une rationalisation et une suppression de certains établissements sous-utilisés ». Il demandait également à ce que les services bancaires fonctionnent comme ceux des banques privées, y compris avec un « ajustement automatique des taux d'intérêt ». Dans la lignée d'une privatisation, certains services publics alors comme l'ouverture de compte aux RMIstes ne seraient plus rentables.

Cinq syndicats de la Poste (la CGT, SUD, la CFDT, FO et la CFTC) ont appelé à « une journée d'action nationale » le 23 septembre, afin de protester contre la privatisation du service public postal.

Que nos services publics manquent de liquidités pour assurer leur modernisation est tout à la fois un fait et une impasse. Que l'État, totalement désargenté, est incapable d'assumer son rôle de financeur public, une certitude. Néanmoins, l'Union Européenne avec ses moyens considérables pourrait, si elle le souhaitait, se lancer dans la constitution d'un réseau de services publics efficients et homogénéisés, porteurs d'un embryon d'identité européenne.