Défi à Nicolas Sarkozy

Le 22 janvier, devant un parterre d’hommes politiques, de présidents d’universités et de chefs d’entreprise, M. Nicolas Sarkozy s’est longuement exprimé sur le thème de la recherche en France.

Entre autres choses, M. Sarkozy affirme que la recherche française est « médiocre », que les chercheurs sont entrés dans la carrière « parce qu’ils ont vu de la lumière et qu’il faisait chaud », et qu’en somme, ce sont des fainéants, des planqués et des parasites.

Il y aurait beaucoup à répondre à M. Sarkozy. Mais à quoi bon ?

Car, à proprement parler, Monsieur le président, quand il parle de la recherche, ne sait pas de quoi il parle. Nulle allusion ici au fait qu’il ait été ou non un brillant étudiant, mais à son incompétence à parler d’un domaine – la recherche – dont, s’il clame haut et fort qu’il est l’avenir du pays, il ne mesure aucun des enjeux véritables, aveuglé par le dogme du profit à très courte vue, par l’idéologie du CAC 40, par l’idée aussi largement installée dans les consciences qu’elle est fausse qu’on pourrait rendre immédiatement « rentables » les investissements destinés à la recherche, et par un concept de la « rentabilité » strictement financier. Pour M. Sarkozy, le savoir doit devenir une marchandise comme les autres, l’université et les organismes de recherche une entreprise parmi d’autres.

Comme au bon vieux temps, en réponse aux diffamations de notre président envers les chercheurs et envers la recherche, je lui lance un défi, je le provoque en duel. Un duel de mots, bien évidemment, au cours duquel, s’il le relève (lui en personne, et pas un de ses acolytes) , je le confondrai, démasquant aux yeux de tous, en quelques répliques, qu’il ignore ce dont il parle et n’a aucunement le souci de l’avenir bien compris de ce pays.

Ci-après, la lette que je lui ai adressée le 8 février 2009.

Monsieur le Président de la République,

En tant que citoyen de ce pays et acteur de la recherche et de l’enseignement supérieur, suite à votre discours du 22 janvier concernant la recherche en France, je vous défie en débat public contradictoire. Un duel verbal, loyal, entre vous et moi, sur un sujet clairement énoncé : « la recherche ».

Les Français ont le droit d’entendre autre chose que les approximations dédaigneuses dont vous avez usé à propos d’un métier et d’une mission de service public qui, chacun s’accorde à le proclamer, portent des enjeux décisifs pour l’avenir de notre pays.

Il y aurait de votre part un vrai courage, que le peuple français saurait certainement reconnaître, à accepter un véritable débat avec un enseignant-chercheur de base, qui (comme la très grande majorité des Français) ne brigue aucune charge ministérielle, ne cherche aucune gratification personnelle, n’appartient à aucun parti et à aucun syndicat et ne dispose d’aucun conseiller pour l’aider à préparer ses discours. Il y aurait, surtout, un geste propre à montrer, aux esprits chagrins qui en doutent, votre profond respect de la démocratie : premier citoyen du pays, vous n’en restez pas moins, en vertu de la devise et de l’esprit de notre République, un citoyen parmi d’autres, qui, je ne saurais en douter, a de ce fait d’autant plus à cœur de faire une place à la parole concurrente que la sienne résonne plus puissamment. Je ne peux me résoudre à croire que, maintenant que différents acteurs et organismes de la recherche en France vous ont signifié leur déplaisir après votre discours du 22, vous puissiez supporter plus longtemps l’idée que vous auriez abusé de votre position pour abuser nos concitoyens. Je vous offre une occasion à nulle autre pareille de signifier au peuple que vous représentez qu’il aurait tort de douter de votre équanimité.

Président de tous les Français, vous ne pouvez bien évidemment leur donner la parole à tous. L’accorder, publiquement, à un universitaire quelconque, mû par le seul désir de débattre avec vous sur un sujet capital, voilà qui cependant attesterait votre ouverture d’esprit, votre souci réel de tenir compte de la grande diversité du monde et des opinions, votre passion de l’avenir de la France.

Comptez sur le fait, si vous acceptez ce défi, que notre débat ne sera pas faussé par ma complaisance. De votre côté, en homme d’honneur, je sais que vous ne vous défausserez pas sur tel ou tel de vos collaborateurs.

Avec mes salutations républicaines.
Christophe Mileschi
Professeur des universités
Paris Ouest Nanterre (Paris10)

Publié dans Bakchic