À la veille de l'intervention d'Emmanuel Macron qui s'est adressé aux Français le lundi 13 avril, en pleine épidémie de Covid-19, Olivier Faure lui a adressé un courrier. Il l’alerte notamment sur la montée de la précarité.
Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, ma famille politique a fait le choix d’être utile aux Français. Nous avons collectivement décidé de renvoyer au lendemain de cette crise le temps du bilan et des leçons à tirer. L’heure est à la responsabilité et, plus que jamais, à la vérité pour surmonter cette catastrophe inédite.
La période de confinement va, à l’évidence, se prolonger. Nous aurions pu gagner en adhésion si l’annonce en avait été faite dès le début de la crise. Nombreux parmi nos concitoyens ont espéré un confinement de courte durée, suivi d’un retour rapide à la normale. Il n’en sera rien. Notre pays doit à présent prendre des engagements pour garantir, dans l’épreuve, la cohésion d’une Nation. C’est le sens, Monsieur le Président de la République, de ce courrier.
Un débat se profile. Monstrueux. Il faudrait choisir entre des vies et des emplois, entre notre santé et notre économie. Il vous appartient de rassurer les Français sur le fait que votre arbitrage demeurera celui de votre première allocution : protéger « quoi qu’il en coûte ». Cela suppose que les conditions du déconfinement soient parfaitement établies et que tous les risques soient préalablement évalués en évitant des décisions prématurées.
L’épidémie a battu un record macabre ce dernier vendredi. Aucun signal de relâchement ne doit être donné alors que nos soignants livrent bataille. Mais il nous faut anticiper et préparer l’étape suivante, donner un horizon plausible aux Français.
Il est donc impérieux de faire toute la transparence sur les conditions du déconfinement, sur les critères retenus pour le déclencher, comme sur les modalités de sa mise en œuvre. Plusieurs questions appellent d’ores et déjà des réponses claires.
- Quel est l’état de nos commandes de masques ? Quelles sont les dates de livraison et en quelle quantité ? Quelle est la proportion de masques FFP2 pour protéger prioritairement nos soignants alors que 3 000 d’entre eux ont déjà été contaminés ? À quelle date serez-vous en mesure de fournir des masques à toutes celles et tous ceux qui continuent à travailler ? Plus largement, quand prévoyez-vous d’équiper tous les Français ? Puisque le virus, selon toute vraisemblance, ne disparaîtra pas rapidement, quelles dispositions sont prises pour mobiliser et, lorsque nécessaire, réquisitionner les entreprises industrielles capables de contribuer à l’approvisionnement massif dont nous allons avoir besoin, et qui ne saurait dépendre exclusivement de la Chine qui n’est elle-même pas à l’abri d’un rebond épidémique ?
- Les mêmes questions se posent pour la production de tests. À quelle date estimez-vous qu’elle sera suffisante pour accompagner la sortie progressive du confinement ?
- En quelle quantité des locaux ont-ils été prévus pour accueillir les personnes porteuses du virus qu’il faudrait isoler afin d’éviter toute nouvelle contamination ? Les collectivités locales sont prêtes à accompagner l’État dans cet effort.
- S’agissant du traitement du Covid-19 par l’hydroxychloroquine, quel sens faut-il donner à votre entrevue avec le professeur Raoult, que vous avez souhaité rendre publique alors que vous aviez, jusqu’ici, donné le sentiment de vous en remettre aux essais cliniques de la mission « Discovery » ?
- Concernant la recherche d’un vaccin, quel soutien l’État entend-il apporter aux équipes déjà à l’œuvre et quelles sont les coopérations internationales engagées pour surmonter les querelles d’ego, de brevet et d’argent ?
- Une sortie progressive du confinement est-elle toujours privilégiée ? Par ville ? Par région ? Par âge ? Quelles en seraient les modalités concrètes pour filtrer les allées et venues ? Quelles solutions seraient envisagées pour les foyers où cohabitent plusieurs générations ?
Les réponses à ces questions conditionnent le déconfinement. Précipité, il portera le risque d’une nouvelle vague épidémique dans le pays et « pourrait être aussi mortel que sa propagation s’il n’est pas géré convenablement » comme l’a indiqué le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
La transparence n’est plus une option. Les variations sur l’utilité des masques et des tests sont dans toutes les mémoires. C’est aujourd’hui la parole de l’État, sa crédibilité, qui sont en jeu.
À cette aune, le débat initié sur le « tracking » n’a tout simplement aucun sens. En effet, indépendamment du précédent que créerait un tel dispositif – nous ne voulons pas passer du confinement de masse à la surveillance de chacun –, son efficacité théorique repose sur un dépistage massif, des lieux relais pour accueillir les malades contagieux, des masques pour toute la population. Or, tout ceci manque cruellement aujourd’hui.
Chaque jour qui passe la crise sanitaire et le confinement accroissent les inégalités et les fractures sociales dans notre pays. Tous les retours démontrent que cette crainte, que je vous avais déjà exprimée, se confirme. Le département qui compte le plus grand nombre de morts est aussi le plus pauvre. La précarité, l’accès réduit aux soins, le manque de moyens pour se nourrir correctement et la surpopulation dans les logements exigus contribuent largement à cette situation.
Aucun territoire ne saurait être stigmatisé alors que les études démontrent que le non-respect du confinement est aussi répandu, voire supérieur, dans les zones habitées par des populations plus favorisées économiquement.
Dans notre pays, 6e puissance économique mondiale, une part de la population ne se nourrit plus à sa faim. Les étudiants qui bénéficiaient des repas au Crous ne peuvent plus s’y rendre ; de nombreux enfants, pour lesquels le seul vrai repas quotidien était celui de la cantine, n’y ont plus accès. Des livreurs payés à la course voient leur revenu s’effondrer et se privent de manger. Dans de nombreuses familles, le confinement aggrave non seulement l’injustice sociale, les difficultés scolaires mais aussi les violences intrafamiliales.
À côté de l’état d’urgence sanitaire, vous devez imposer un état d’urgence social.
Votre responsabilité, c’est d’ouvrir les droits à l’assurance-chômage dès deux mois d’affiliation, de revenir sur les six mois exigés depuis novembre, et de supprimer définitivement votre réforme de l’assurance- chômage, fabrique infernale à précarité. Il est temps de décider, aussi, que le versement de la prime d’activité des mois de janvier et février se poursuivra chaque mois pendant le confinement.
Votre responsabilité, c’est de ne pas laisser les collectivités, admirables dans cette crise, assumer seules. Donnons-leur les moyens. Il faut entendre l’appel des élus, notamment nos présidents de conseils départementaux, qui demandent que l’accès aux aides sociales soit facilité et que les interruptions envisagées soient stoppées. Dans l’urgence, il est impératif de mettre en place une aide exceptionnelle de 300 euros par foyer, et une majoration de 100 euros par enfant, pour tous les ménages bénéficiaires des minima sociaux, des aides au logement et de l’allocation de rentrée scolaire, comme vous le demandent les associations de lutte contre l’exclusion.
La solidarité du quotidien passe par les élus locaux. Je vous demande de mieux associer les collectivités locales à sa mise en œuvre.
Cette crise sociale, engendrée par la suspension d’une large part de notre activité, sera demain amplifiée par une crise économique que l’on sait sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Les dispositifs que vous avez mis en place, autour notamment du recours au chômage partiel et du fond de solidarité, sont précieux, mais ils laissent encore trop de nos concitoyens sur le bord de la route.
S’agissant du chômage partiel, je réitère ma demande d’indemnisation des salariés à 100 % jusqu’à 2,5 SMIC.
Les mesures gouvernementales doivent être amplifiées, à la mesure du coût du confinement pour l’économie française. Cet effort doit, en particulier, être dirigé vers les TPE et PME, les indépendants, ou encore les compagnies du secteur artistique et culturel. Le comportement des banques est encore trop souvent celui de la sélection de leurs risques, et les refus opposés aux entreprises fragiles sont légion. La garantie de l’État doit être portée à 100 % afin que les prêts soient réellement accessibles à tous. Des aides massives aux entreprises industrielles devraient être accordées pour amorcer de nouveaux projets d’innovation et de diversification, notamment orientés vers la relocalisation et la transition écologique, sous la forme d’avances remboursables uniquement en cas de succès commercial.
Le ministre de l’Économie a évoqué une possible intervention de l’État pour sauver des entreprises, mais tout semble indiquer que cela ne sera pas possible pour toutes les entreprises. Dès lors, quels seront les critères qui présideront au choix de l’État pour les accompagner?
L’intervention de l’État est nécessaire pour faire face à la récession. Elle est même saluée par vos ministres qui, pourtant, n’ont eu de cesse depuis trois ans de diminuer ses moyens et sa capacité d’action. Réjouissons-nous de cette prise de conscience, créons les conditions pour qu’elle ne s’évanouisse pas.
La question de la dette des États est posée au niveau européen. L’accord du jeudi 9 avril prévoit 500 milliards d’euros d’aide à l’économie mais ne règle pas la question. La solution du recours au Mécanisme européen de stabilité (MES) n’est pas adaptée à la situation actuelle. Cet accord est strictement dans la ligne de ce que l’Europe a fait en 2011-2012, soit toujours « trop peu et trop tard ». L’Union doit cette fois agir à temps et massivement.
Ne faisons pas croire, en effet, que les engagements actuels sont suffisants. Le détail de ce plan relève ses faiblesses (2 % du PIB) et comporte des clauses beaucoup trop vagues sur les dépenses éligibles, leur durée et les remboursements.
Au-delà, je vous demande de mettre tout le poids de la France dans une série de discussions avec nos partenaires européens sur la monétisation des dettes de sauvetage ; sur le parti à tirer de la mobilisation des outils d’intervention à la disposition de la BCE ; d’ouvrir le débat sur des annulations de dettes en échange d’investissements équivalents dans les biens essentiels et la transition écologique, et sur le lancement indispensable de « coronabonds ».
Ce serait enfin une erreur de considérer cette crise épidémique comme un seul choc de l’offre. Elle est aussi un choc de la demande. Vous devez donc envisager, dès à présent, en concertation avec les partis d’opposition, les collectivités qui sont des investisseurs majeurs, et les partenaires sociaux, les modalités d’un plan de relance, ou plutôt de mutation. En effet, il ne pourra s’agir de repartir « comme avant » dans l’indifférence aux menaces qui pèsent sur la planète, mais bien de réorienter notre politique vers la lutte contre les inégalités sociales, territoriales, et l’impératif climatique et écologique.
Je réitère ma demande que ce plan de « mutation» s’accompagne d’une reconnaissance réelle et concrète envers tous les métiers que le système économique avait mis dans l’ombre (caissières, livreurs, infirmières, urgentistes...) et qui tiennent depuis des semaines – et en réalité depuis bien plus longtemps – le pays à bout de bras.
Dans un contexte d’inquiétude, il faut commencer à répondre à la question « Qui doit payer ? ». L’engagement doit être pris sans tarder : il est hors de question de faire payer aux premiers de tranchée et aux classes moyennes précarisées la facture de cette crise. L’ « effort de guerre » doit porter d’abord sur les plus fortunés : l’ISF doit être rétabli et la flat tax abrogée. Et s’il y a bien un « géo-tracking » à organiser, c’est celui qui vise la fraude et l’évasion fiscale.
Cette crise agit comme le révélateur de toutes les incohérences, les injustices, les inégalités du système actuel. Sa résolution doit révéler notre humanité.
Vous prendrez la parole lundi devant tous les Français. Je ne doute pas que cette expression saura saisir les propositions ici formulées et répondre aux questions de nos compatriotes.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.