Cher député,
j'ai appris que tu n'avais pas été sage dans l'Hémicycle.
Ce n'est pas la première fois. Comme je ne suis pas ton professeur, je ne t'ai rien dit jusqu'à présent. Et puis, tu as sans doute tes raisons. Ton corps change, tu es stressé par les attentats (peut-être ton entourage n'a-t-il pas su trouver les mots pour te rassurer), tu viens d'une banlieue difficile (comme Levallois, par exemple), le Premier Ministre ne t'interroge jamais quand tu lèves la main, la Ministre t'en veut (en plus, ça se fait pas, elle affiche ses opinions de gauche), ton hamster est mort, tes parents ou tes enfants sont en plein divorce, c'est pas toi, c'est ton voisin de banc. Et puis, je sais, je sais, tu voulais travailler en îlots intempestifs et réactifs inversés de projet personnalisé et le gouvernement faisait rien qu'à te gêner avec son discours magistral réac (il est déjà sympa de te laisser jouer avec ton portable). Ça t'a énervé. C'est sûr.
Mais enfin, la culture de l'excuse a ses limites, tu serais le premier à le dire. En plus, nombre de tes camarades ont été sages, eux ! Même des copains de ton groupe d'amis.
Mon petit, je ne suis pas ta prof mais je vais me permettre d'étendre mon magistère afin de faire un peu de pédagogie avec toi (je profite de l'état d'urgence pour outrepasser mes droits). Ces derniers jours, il y avait un "deuil national". Ça supposait de modifier un peu ton comportement, de faire preuve de tact, de changer un chouïa tes habitudes, bref, de te tenir, sinon bien, du moins mieux.
Je ne sais pas si tu le sais mais les enfants te regardent. Oui, ces enfants pour lesquels tu ne dois pas avoir de mots assez durs quand ils dérapent gravement lors des minutes de silence, livrés à des profs fonctionnaires laxistes et gauchistes. Ils te regardent. Rassure-toi, ils ne s'identifient quand même pas à toi, ils ne te demandent pas d'être exemplaire (en plus ils t'en veulent un peu, les leçons sur le 49.3, sur la différence entre projet et proposition de loi, ils ne les ont toujours pas digérées)(en revanche, ils aiment bien quand la loi fait la navette, je me demande s'ils n'ont pas un tropisme sénatorial). Mais enfin, quand même, ils te voient faire le pitre en plein "deuil national", moins d'une semaine après les attentats et ils posent des questions.
Et à qui ils les posent, ces questions ? Eh bien, parfois, à nous, les profs. Et là, tu vois, c'est pas sympa de ta part, on est bien emmerdés : l'Etat ne nous paie pas pour qu'on explique à des enfants que certains députés manquent totalement de sens de la dignité, de la décence et de la tenue, que certains élus se tiennent comme des idiots et vont ensuite faire la morale à tout le monde.
Alors on fait quoi ? On fait quoi avec toi qui te conduis comme ça ? Tu vas me rétorquer que c'est pas juste, que c'est parce que tu es de droite que je m'acharne, que les autres aussi ils parlent. Et en plus, les profs c'est tous des socialistes. Je te répondrai que tu dates, que le PS et le profs, avant la Réforme du collège, peut-être, et encore...Mais enfin, ce n'est pas la question.
La question c'est toi. Il faut que tu fasses des efforts. Je sais que tu as décidé de te calmer aujourd'hui, que vous en avez parlé entre vous. C'est bien. Parce qu'hier tu m'as vraiment foutu la honte. Et que je ne sais pas trop quoi dire quand les élèves évoquent ton comportement en hémicycle. Mon collège est à deux pas de l'Assemblée, si tu veux venir leur expliquer, tu es le bienvenu. On viendrait bien, mais, nous, on n'a plus le droit de sortir.
Article de Mara GOYET publié le 18 novembre 2015 sur le Blog "Alchimie du Collège" du Monde